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Chers tous,
Si vous étiez coincés sur une île déserte pour deux à trois jours, qu’est-ce que vous emporteriez avec vous ?
Si je vous rappelle que Manhattan est considéré comme une island, vous devinez que je fais allusion à l’ouragan Irène qui va notamment s’abattre sur les cinq « boroughs » qui constituent New York City de samedi soir à dimanche soir, heure locale, et à ma condition de Robinson d’appartement pour tout le weekend. C’est rare sur ce blog mais, puisque je suis temporairement condamnée à l’immobilité presque complète, je vais tenter de couvrir "en live" cet événement historique… La ville n’a pas vu un ouragan de cette ampleur depuis le siècle dernier (parce que si je vous dis les années 80, tout de suite c’est moi percutant) !
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Irène fait bien sûr l’actualité depuis quelques jours, mais entre la conclusion de l’affaire DSK, le mariage de Kim Kardashian avec un joueur de la NBA, et le tremblement de terre qui a légèrement secoué New York, les esprits était bien occupés cette semaine. C’est sans doute pourquoi quand, vendredi matin, un des hobos (attention, à ne pas confondre avec bobos) de mon quartier annonce à qui veut bien l’entendre que la fin du monde est pour dans deux jours, cela me fait surtout penser aux premières pages de l’aventure de Tintin L’Etoile mystérieuse !
Toute la journée mes collègues ne parlent plus que d’Irène. Malgré un temps absolument magnifique, je commence à me sentir concernée. Les Américains ont l’habitude d’affronter des conditions climatiques extrêmes et, moi-même, avec mes divers séjours aux quatre coins des US, ainsi que trois années à New York, j’ai connu mon lot de tempêtes en tout genre, mais un ouragan, jamais ! Mayor Bloomberg joue la carte du « better be safe than sorry ». Personnellement, j’approuve. Et je trouverais ça beaucoup plus logique de nous donner la journée pour que l’on puisse se préparer à la visite d’Irène ! On pourrait travailler le dimanche de la maison, puisqu’on sera coincés de toute façon. Enfin cela fait longtemps que j’ai perdu espoir de convertir mes collègues au bon sens français. Quoiqu’il y en a un qui a tout compris… il passe sa journée de vendredi à la plage ! (Et puis tout le weekend au travail pour superviser les éventuels dégâts).
J’étends ma pause-déjeuner ensoleillée au maximum ce jour-là, mais j’ai hâte de pouvoir partir. I have stuff to do ! Je m’éclipse après l’annonce de la nouvelle que nous serons officiellement fermés au public à cause des conditions météorologiques, et après avoir modestement contribué à vider les frigos de notre cafétéria. Malheureusement, les cookies et brownies ne sont pas considérés comme des denrées qui se périment vite !
Vendredi soir—nous sommes maintenant bientôt à H-24—je prends le métro pour rentrer chez moi et les haut-parleurs confirment ce que je sais déjà : les services de transports en commun ne seront plus assurés à partir de samedi midi. Il est bon de rappeler que les métros et bus de la ville passent de jour comme de nuit, sans interruption, et que les grèves sont ici quasiment inexistantes...
Je dois faire un bref arrêt dans Hell’s Kitchen, un quartier plus animé que son nom l’indique, et chaque personne que je croise est chargée de sacs de courses et de packs de bières ! Je m’agite car il faut que je rejoigne mon quartier et que, moi aussi, je passe au supermarché. Je compte acheter le minimum pour être confortable (et pour pouvoir faire un gâteau, ça m’occupera !), puisqu’il est possible que l’électricité soit coupée ce weekend. En bonne Française, je n’aime pas jeter de la nourriture à la poubelle, et en toujours en bonne Française, mes placards sont déjà plein d’aliments de longue conservation qu’il est conseillé d’acheter. Les Américains sont très friands de lait, mais ici on ne trouve pas de briques en dehors du rayon frais, peut-être qu’Irène fera changer les mœurs dans ce domaine!
Ce soir-là, je suis censée voir des amis, mais nous devons annuler quand ils réalisent peu à peu que la situation sera plus inconvéniente que prévue. Ils habitent le Lower East Side, dans une des zones d’évacuation nouvellement définies par les autorités! Une fois chez moi, je vérifie immédiatement si je suis concernée, et à quel degré. Sur la carte publiée vendredi, on peut voir que certains endroits de la ville correspondent maintenant à des zones d’évacuation A, B, C… c’est-à-dire des zones menacées par l’ouragan, et par les inondations conséquentes, de façon plus ou moins inquiétante. Dans les low-lying neighborhoods (nouvelle expression que j’apprends au passage, et qui signifie quartiers situés bord de l’eau et proche ou en dessous du niveau de la mer), l’évacuation est obligatoire, et les pompiers sont envoyés frapper aux portes !
Mon appartement se situe à une avenue au-delà de la zone C, les vagues ne nous atteindront pas ! Non seulement je suis dans l’un des quartiers les plus vivants et les plus agréables à vivre de Manhattan, le East Village, mais je suis aussi assez éloignée des deux rivières pour ne pas avoir à quitter les lieux… le weekend ne devrait pas être si terrible ! Par curiosité, je regarde dans quelles zones se situent mes anciens appartements, pratiquement tous en zone C.
Il est temps pour moi d’aller au supermarché. En route je souris en constatant que les bars et restaurants sont bondés… c’est l’effervescence avant l’isolation forcée ! Les lampes de poche ont beau être en rupture de stock un peu partout, les étagères du Whole Foods (en temps normal, je suis une inconditionnelle de Trader Joes, je tiens à le préciser!) situé à deux pas de chez moi sont toujours pas mal fournies, à mon grand soulagement. C’est parler trop vite ! Une bonne centaine de personnes font la queue en serpent interminable, bien sagement, pour régler le contenu de leurs cadis remplis à ras bord. Il est hors de question que je me joigne à cette folie douce : armée de mes maigres provisions, je ruse et monte un étage pour rejoindre la caisse du rayon produits de beauté. C’est le désert, mais on ne peut pas y peser mes fruits et légumes, donc j’abandonne une partie de mon cargo et rentre chez moi vite fait bien fait.
Les New Yorkais sont « cool and collected », comme on dit ici. Surtout depuis le 11 Septembre, je dirais qu’on voit rarement des mouvements de panique irrationnels. Les habitants de la ville savent reconnaître le pire du moins pire, mais il y a quand même une certaine agitation collective qui se développe à cause d’Irène. C’est pourquoi je suis bien contente de pouvoir me décharger d’un peu de mon stress à la salle de sport. Le tapis de course est une machine assez pitoyable (cochons d’Inde, anyone ?), mais je n’ai jamais mal aux genoux quand je cours dessus, et la télé individuelle, combinée à la vue sur la piscine intérieure, fait passer le temps. D’ailleurs, pour la première fois depuis que je me suis inscrite dans ce club, je regarde la chaîne info !
Samedi matin, jour J, je me lève à une heure raisonnable, 10h30, sachant que la ville retiendra son souffle officiellement à 12h avec les derniers métros. Mon premier réflexe est de jeter un coup d’œil par la fenêtre de mon salon qui donne sur l’une des avenues les plus passantes du East Village. Mon Lavomatic est fermé, damn it ! J’en appelle un autre qui se trouve un peu plus loin (et que je ne peux donc pas voir depuis ma fenêtre !) Le téléphone ne sonne pas dans le vide, mais la voix à l’autre bout du fil m’informe : « Je ferme maintenant ! » Mon deuxième réflexe est de jeter un coup d'œil au site du New York Times. L’inscription en ligne est devenue payante au-delà de vingt articles consultés par mois, cependant la couverture de l’ouragan est exceptionnellement en libre accès. A ce moment-là, la Caroline du Nord est touchée et New York continue à se préparer.
Je commence à être saisie par l’angoisse propre à celui ou celle qui est devenu(e) un(e) vrai(e) New Yorkais(e) : elle est liée au manque créé par l’habitude d’avoir toujours tout à disposition à tout heure du jour et de la nuit. La ville qui ne dort jamais vient d’être plongée dans un coma artificiel, et nous sommes tous à son chevet, légèrement désœuvrés. Après le petit-déjeuner, malgré mon côté hyper-prudente, je réalise qu’une marge de dix heure avant le début annoncé des hostilités doit être amplement suffisante pour que j’ose aller prendre l’air !
Le ciel est d’un gris plombé, et il fait une chaleur étouffante, ce n’est sans doute pas un hasard puisqu’Irène est une tempête tropicale. La présence d’autres gens de mon quartier dans la rue fait plaisir à voir. Il y a aussi des joggers que rien n’arrête et beaucoup de touristes hagards (forcément, quand on dort à l’hôtel, on n’a pas envie d’être cloîtré toute la journée !) Je réalise que c’est mon unique chance de me dégourdir les jambes ce weekend et me lance dans une bonne balade: East Village- Union Square- Flat Iron- West Village -Greenwich Village, back home !
C’est très intéressant de noter quels magasins sont fermés ou ouverts ce matin. Pas mal de restaurants sont prêts à vous accueillir, mais je ris tout bas en songeant à demain : pour la première fois de leur vie certains New Yorkais devront sans doute se faire à manger eux-mêmes, pas de eat out, take away, ou order in à disposition ! Mon exploration me laisse penser que les grosses chaînes ont misé sur la sécurité : elles annoncent la fermeture de leurs portes pour toute la journée de samedi et de dimanche. Lundi reste toujours à voir, puisqu’il est probable que les transports en commun ne soient pas fonctionnels d’ici-là (la meilleure des nouvelles officielles jusqu’à présent !) Par exemple, les petits cafés vous servent normalement, mais je suis passée devant un Starbucks fermé !!! En parlant de vert, la première boutique américaine Ladurée devait ouvrir aujourd’hui dans le Upper East Side, je me demande si la macarons-mania a été assez forte… Sinon, pour ceux qui préfèrent les biscotti, il y a une demi-heure de queue annoncée dans le Bon Marché italien de New York, j’ai nommé Eataly.
Ma théorie du « plus c’est grand, plus c’est probable que ce soit fermé » s’écroule quand je passe devant Forever 21 et son entrée béante. On est bien au pays du capitalisme à outrance. Business is business ! Je me demande quels employeurs ont délibérément ignoré le principe de précaution, sachant que je doute que les vendeurs de Forvever 21 habitent dans le même building à l’étage du dessus !
Les sans-abris quant à eux n’ont pas déserté les trottoirs. Où vont-ils se mettre au sec ? Des refuges ont été ouverts pour les New Yorkais vivants dans les zones à évacuer, mais je ne suis pas sure qu’ils accueillent le public habituel de la Salvation Army. Ou alors ce serait le mélange des genres ultime, les riches banquiers de Tribeca obligés de cohabiter avec les mendiants du lower Manhattan…
Lorsqu’il se remet à pleuvoir, je décide de rentrer home sweet home. Bilan de ma matinée de consommatrice compulsive : un café glace et des carottes et du céleri du marché de produits frais de Union Square (pas du céleri en branche comme il est plus courant aux US, mais une vraie racine de céleri qui ne se périmera pas avant un mois ou deux, voir plus, enfin espérons que l’hibernation forcée dure moins longtemps quand même !).
La journée de samedi a été marquée par quelques averses, mais au final c’est plutôt anticlimactic (en VO, oh le jeu de mots !) Par contre, pendant ma promenade, j’ai croisé plein d’araignées géantes : certaines vitrines et fenêtres sont recouvertes de bandes adhésives qui forment des motifs Spidermaniens. Ma plus grande crainte à ce stade est que l’électricité soit coupée : tout ce qu’il me restera alors ce sera la lumière du jour, des glaçons, mon téléphone portable et ma radio à pile.
Écrire cet article m’occupe bien, mais comme tous les gens qui ont des horaires de bureau, le weekend j’apprécie ma liberté de mouvement ! A la nuit tombée, la pluie commence à tomber non-stop et j’ai déjà envie de passer à autre chose, sachant que ma seule compagnie pour le weekend est mon coloc avec qui je ne suis jamais d’accord sur rien (un jour je vous raconterai ça peut-être !). Tu te ramènes Irène oui ou quoi! Là c’est quand tu veux !
Rétrospective "Meet Irene":
Singin' in the Rain (Stanley Donen and Gene Kelly, 1952)
Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb (Stanley Kubrick, 1964)
The Ice Storm (Ang Lee, 1997)
Me, Myself & Irene (Bobby Farrelly and Peter Farrelly, 2000)
The Perfect Storm (Wolfgang Petersen, 2000)