Chers tous,
Elizabeth Taylor, so long. Elle était l’une des dernières légendes vivantes du cinéma classique hollywoodien, et mon côté cinéphile nostalgique en a pris un coup aujourd’hui. J’ai découvert ses “yeux violets” en Technicolor dans le film Ivanhoé que mon frère et moi nous repassions en boucle étant enfants. Quelques années plus tard, je me suis penchée avec attention sur certains autres des films qu’elle a tournés dans les années 1950. Si vous n’avez pas encore vu Cat on a Hot Tin Roof, il n’est pas trop tard pour bien faire ! Je me permets de publier ici un extrait de mon mémoire de fin d’études qui portait sur l’image de la femme au foyer dans le cinéma américain de l’après-Seconde Guerre mondiale. Cela ne vous surprendra peut-être pas de lire que la personnalité de la femme aux huit (!) mariages a transcendé des personnages de “femme de” qui lui étaient offerts à l’époque. Elizabeth Taylor restera pour moi une figure de l’anticonformisme féminin, une desperate housewife qui ne se laissait pas faire…
Le poids des dynasties sudistes : Produire un héritier
Dans Cat on a Hot Tin Roof et Giant, Elizabeth Taylor incarne une jeune épouse devant s’intégrer dans la famille étendue de son mari, et dont la tâche suprême est de prolonger la descendance.
Dans Cat on a Hot Tin Roof, Elizabeth Taylor joue Maggie, la femme d’un héritier d’une famille du sud, Brick Pollitt (Paul Newman). Si elle est capable de tenir tête à son époux, de le provoquer et de le défier pour tenter de le faire sortir de sa torpeur alcoolisée, ses rapports avec son beau-père son plus traditionnels. D’un côté, elle voudrait le satisfaire et tomber enceinte, ce qui par ailleurs prouverait que son mari a encore du désir pour elle. De l’autre, elle méprise profondément la seconde belle-fille de la famille Pollit qui a accouché de cinq enfants insupportables et qu’elle surnomme le “monstre de fertilité”. Maggie est prête à tout pour reconquérir les faveurs de son mari. Elle tente même de le rendre jaloux en flirtant avec le pater familias que tout le monde surnomme Big Daddy (Burl Ives). Mais celui-ci ne voit en sa belle-fille séductrice, Maggie “the cat”, qu’une mère potentielle : « Si c’est moi qui avait été marié à toi pendant trois ans, tu aurais eu la preuve vivante de mon amour, trois gosses et un quatrième dans le tiroir ! ».
Chez les Pollit, sexualité rime avec fécondité, c’est pourquoi Maggie détonne dans le paysage. Elle est incroyablement aguicheuse mais reste sans enfants. Le film fait planer des doutes sur la “virilité” de Brick, mais du point de vue des parents de ce dernier, c’est la faute de Maggie. Big Momma (Judith Anderson) lui demande avec rudesse : « Brick a commencé à boire depuis qu’il est marié. Est-ce que tu rends ton mari heureux ? ». Ce à quoi Maggie la rebelle répond aussitôt : « Et moi alors, personne ne me pose la question ? ». Mais la belle-mère de Maggie insiste : « Quelque chose ne va pas. Tu n’as pas d’enfants et mon fils boit ! Quand un mariage fonctionne, c’est au lit ! ». Ce genre de commentaire peut faire penser aux pressions qui s’exerçaient sur les épouses des rois d’Europe pour procréer à tout prix et donner naissance à un fils. Pourtant, l’autre belle-fille Pollit n’est pas choquée par cette vision rétrograde de la maternité : « Je suis fière de pouvoir dire qu’il y a une dynastie prête à prendre le relais grâce à moi ! ».
Dans cette famille aux valeurs traditionnelles, l’obsession des grands-parents est leur descendance, mais, paradoxalement, Big Daddy ne peut pas supporter les petits-enfants déjà venus agrandir la famille. Il semble toujours dans l’attente d’un héritier qui pourra assumer pleinement le nom familial et compte sur Brick et Maggie. Le couple a donc la charge importante de perpétuer la descendance, mais ne peut mener à bien cette tâche. Brick demande ainsi à sa femme : « Et comment tu vas faire avec un homme qui ne peut pas te supporter ? ». Maggie lui répond : « C’est mon problème ! J’y travaille… ». Finalement, la pression est si forte que Maggie fait le mensonge pieux d’une grossesse imaginaire, renouant par la même occasion avec son époux.
Dans Giant, Elizabeth Taylor incarne à nouveau une épouse qui doit apprendre à vivre dans une famille aux valeurs conservatrices. Elle interprète Leslie, une jeune femme issue de la bonne société de la côte est des États-Unis. A la suite de son mariage avec Bick Benedict (Rock Hudson) qui possède un ranch au Texas, elle déménage et tente de s’adapter à un environnement initialement hostile. En effet, la soeur de Bick, Luz (Mercedes McCambridge), a du mal à s’accommoder de cet élément intrusif. Mais Leslie ne se laisse pas faire : « Je ne peux pas être une invitée dans la maison de mon propre mari ! ».
Elizabeth Taylor dans Giant (Warner Bros. Pictures)
Cependant, elle abandonne volontairement une partie de son indépendance : acte symbolisé par l’exécution de son cheval, indomptable, qui a causé la mort de Luz. Elle essaye ainsi de faire plaisir à son époux, même si celui-ci a des vues assez réactionnaires sur la place des femmes en société. Par exemple, lorsque Leslie essaye en vain de prendre part à une conversation politique, elle est rapidement découragée : « Messieurs, vous vous comportez comme des hommes préhistoriques ! Qui a-t-il de si masculin dans votre sujet de discussion pour qu’une femme ne puisse intervenir ? ». Bick est très en colère que sa femme ait ainsi empiété sur son autorité.
Elizabeth Taylor dans Giant (Warner Bros. Pictures)
Néanmoins le couple trouve rapidement son équilibre, notamment quand Leslie annonce sa grossesse. Cette prérogative féminine constitue un devoir, mais surtout un pouvoir, réservé aux femmes. Le personnage joué par Elisabeth Taylor réussit à s’imposer face à Bick, mais son domaine d’intervention reste limité : les quartiers pauvres non loin du ranch et l’intérieur de leur maison. Même si, pour reprendre la remarque de Peter Biskind à propos de Pillow Talk, ce domaine n’est pas totalement insignifiant : « La décoration intérieure devient une métaphore de la capacité d’une femme à transformer un monde masculin, à modeler ses valeurs à son image à elle. »1. L’auteur ajoute que le film Giant célèbre la décrépitude du système patriarcal. Comme Bick finit par le dire à sa femme à propos de leur vie commune ou de l’éducation des enfants : « Fais comme bon te semble… »
Dans ce film, Elizabeth Taylor se rapproche autant que possible du modèle de la femme rebelle. Elle est capable de s’adapter lorsqu’elle devient membre d’une famille aux traditions ancestrales, sans pour autant renoncer à son droit d’émettre une opinion anticonformiste. Elle réussit à infléchir les idées conservatrices de son mari, accompagnant ainsi la transformation de la dynastie Benedict : la deuxième et la troisième génération ont une plus grand ouverture d’esprit. Dans les années 1950, Elizabeth Taylor réussit peut-être à reprendre le flambeau d’un certain type de personnages féminins, affirmés, indépendants qui semblaient avoir disparu des écrans depuis les années 1930. Dans les années de guerre froide, elle fait parfois figure d’exception, réussissant par exemple à incarner une héroïne qui ne plie jamais face aux hommes qui l’entourent dans A Place in the Sun, Giant, Cat on a Hot Tin Roof et Suddenly, Last Summer. Marjorie Rosen affirme que:
seule parmi les jeunes épouses, elle servit de figure positive sur grand écran pour le public féminin, incarnant une jeune femme aimante capable d’exprimer ses besoins et ses désirs. […] Et c’est cet ego, cet impatience, et cette implication personnelle, qui détonnaient avec les personnages trop parfaits de martyrs désintéressés… sanglotant et soufrant pour les hommes plutôt que pour elles-mêmes2.
1. BISKIND, Peter, Seeing is Believing: How Hollywood Taught Us to Stop Worrying and Love the Fifties, New York, Henry Holt, 2000, page 290-291.
1. BISKIND, Peter, Seeing is Believing: How Hollywood Taught Us to Stop Worrying and Love the Fifties, New York, Henry Holt, 2000, page 290-291.
2. ROSEN, Marjorie, Popcorn Venus: Women, Movies and the American Dream, NewYork, Coward, Mc Cann and Geoghegan, 1973, page 264. Citée par BYARS, Jackie, All that Hollywood Allows: Re-Reading Gender in 1950s Melodrama, Chapel Hill, the University of North Carolina Press, 1991, page 98.
Rétrospective: "Who's Afraid of Elizabeth Taylor?":
Father of the Bride (Vincente Minnelli, 1950)
A Place in the Sun (George Stevens, 1951)Ivanhoe (Richard Thorpe, 1952)
Giant (George Stevens, 1956)
Cat on a Hot Tin Roof (Richard Brooks, 1958)
Suddenly, Last Summer (Joseph L. Mankiewicz, 1959)
Who's Afraid of Virginia Woolf? (Mike Nichols, 1966)
Your best fan on the other side of the Atlantic is, as always, impresssed by your extensive knowledge. Bel hommage à une des heroines ciné de ma jeunesse - les années fifties and sixties. You are pretty quick on the mark , my dear. Keep up the good work. Vivent les femmes rebelles!
RépondreSupprimer