samedi 19 mars 2011
Recherche New Yorkaise désespérément: Chapitre 2
Chers tous,
La suite de mon enquête de terrain, "Recherche New Yorkaise désespérément". Pour ceux qui ne les auraient pas déjà lues, l'introduction et les Observations #1 et 2, c'est par ici.
Observation #3: La New Yorkaise ira très loin.
Dans la ville du dollar-Dieu et du capitalisme à outrance, l'individualisme est une vertu. Ceci est la conséquence, selon moi, de l'une des différences les plus fon-da-men-tales entre la France et les États-Unis: la liberté y est plus sacrée que l'égalité. Cette différence se répercute dans la vie quotidienne des expatriés à New York de mille et une façons plus ou moins déroutantes pour les Européens habitués à la philosophie du Wellfare State. Mais les New Yorkaises ont été biberonnées à cette vision du monde depuis leur plus tendre enfance: tu iras loin, et tu seras riche, ma fille! Miss Liberty montre l'exemple: ici tout est possible, mais c'est chacun pour soi.
Alors vous allez sans doute me dire que, sur le papier (sur le blog, si vous préférez), là je ne fais qu'énumérer des banalités évidentes, et que j'étais forcément au courant de tout cela avant de partir. Oui, et non. Car la subtilité est là justement: entre sur le papier et dans ma réalité quotidienne, il y a eu un océan à traverser. Comme si pour vivre à New York sereinement il m'avait fallu littéralement traverser l'Atlantique à la nage et, à mon arrivée, mouillée comme Snoopy à la sortie de son bain semi-annuel (un personnage désormais récurrent de mon blog, comme Charlie, à vous de le trouver!), on m'avait annoncé "Ça y ait vous avez compris! Maintenant allez profiter du 'rêve américain'". Trêve de métaphore, ce qui s'est réellement passé c'est que j'ai pris un avion Air France, je me suis trouvée une bonne confidente, et je me suis accrochée à mon passeport européen pour me donner confiance en me disant "Si quelque chose m'arrive, je peux toujours rentrer et aller chez le dentiste pour 20 euros".
Clairement ce n'est pas l'approche la plus pratique! Pour ceux qui me connaissent en personne cela va peut-être vous étonner étant donné que vous avez été témoins de mon amour inconditionnel pour la culture américaine depuis ma nuit des temps... au collège: Leonardo DiCaprio, Quicksilver et Alanis Morissette (OK, Canadienne, ça compte qu'à moitié); au lycée: le cheesecake, Douglas Kennedy et Urban Outfitter; à l'Université: Starbucks coffee, Edward Hopper et Elia Kazan (j'en passe et des meilleurs!) Vous avez également été témoins de mes aller-retour très réguliers vers la côte Ouest, Est, et même parfois au milieu. Mais ceux qui me connaissent bien savent aussi que je suis d'un naturel, disons, un peu stressée parfois, donc le choc culturel inédit que j'ai vécu suite à mon installation à New York ça été plutôt comme un électrochoc. Et c'est aussi pour ça que j'ai créé ce blog: pour ceux qui se demandent peut-être comment on apprend à vivre ici comme une New Yorkais born in the USA, sans visa de touriste, sans assurance maladie étudiante internationale de la SMERRA, sans riche mari à la BNP (no offence!), et sans cinq semaines de congés payés par an...
La New Yorkaise, elle ira très loin, donc. Tout simplement car elle a grandi ici! Voici une illustration concrète de cette évidence pas si évidente que ça, comme je viens de vous le démontrer. Prenons l'exemple du lieu de travail. Mon premier conseil pour vous, chers lecteurs, il faut manger ou se faire manger. Seriously! Au bureau, j'ai parfois l'impression d'être dans une jungle inhospitalière, où j'apprends chaque jour, petit à petit, comment survivre et, si tout va bien, moi aussi j'irai très loin. C'est frustrant, car je ne peux pas me fier à mes instincts naturels (complètement faussés par une enfance paisible au bord de la mer, où les seuls animaux un peu sauvages étaient quelques phoques.) Alors j'observe et je me force à suivre le mouvement.
Pour être plus précise, voici comment cet été (ah l'été au bureau!) j'ai réalisé quelque chose de très important. Attention, je vous préviens, vous allez sans doute complètement tomber des nues. Imaginons que vous ayez été embauché pour vos compétences, votre expérience, votre parcours scolaire sans faute, pour remplir le quotta affirmative action, ou que sais-je encore. Vous êtes motivé, prêt à travailler dur, good for you!... Mais personne ne va venir vous demander votre aide.
En effet, les Américains ont une conception de la productivité TRES différente de celle des Européens. Ici "déléguer" (un mot magique non?) est 1) Mal vu, ou 2) La plaie! (gros soupirs de mes collègues quand on leur annonce qu'ils vont devoir superviser des stagiaires). Sur mon lieu de travail, à part quelques exceptions, tout le monde est Américain et, à part ceux qui ne m'ont jamais parlé ou qui ne se sont jamais demandé pourquoi mes vacances sont systématiquement passées à Paris et autour, tout le monde sait que je parle couramment le Français ("D'oh!" comme dirait Hommer Simpson). Pourtant, deux de mes collègues ont préféré laissé leur toute nouvelle stagiaire écrire le brouillon d'un email en Français (l'idée était de l'envoyer à des institutions de francophiles à New York pour faire connaître certains de nos programmes), plutôt que de me confier directement cette tâche. Résultat: cette adorable stagiaire a certes vécu à Bastille pendant 6 mois, mais ça aurait été une insulte d'envoyer une telle missive à quiconque parlant ma langue natale. On s'est finalement décidé à me consulter à la dernière minute, j'ai réécris la traduction en partant de zéro en cinq minutes chrono, mais il était déjà trop tard et l'email n'a pas été envoyé à temps... Lorsque j'ai pointé cette incohérence à mes collègues, voici quelle a été leur réponse: "Our intern wanted to give it a shot"... Hum. Of course, la stagiaire voulait le faire elle-même, bien qu'en en étant incapable, c'est comme ça que l'on gravit les échelons à New York!
Je me rends compte un peu plus chaque jour comment les choses fonctionnent ici. Chaque employé un tant soit peu ambitieux (et si vous n'êtes pas ambitieux, circulez y'a rien à voir), que ce soit pour la gloire, ou pour un bonus plus ou moins indécent, va se mettre sur le dos un maximum de tâches et ne pas les partager. L'étalon de valeur n'est pas la qualité mais la quantité. Si vos fonctions vous font rester au bureau tard, si votre chef vous fait travailler le weekend, cela est perçu comme une "récompense" lorsque vous débutez votre carrière. La New Yorkaise se doit d'être une working girl with upward mobility, et il n'est pas considéré comme normal de rester au même poste plusieurs années d'affilée sans promotion. Certaines retournent même à l'Université, et s'endettent encore et encore, pour obtenir un master ou un diplôme de "grad school" car cela est parfois la seule façon de monter dans l'échelle des salaires. Cette philosophie demande des sacrifices assez incompréhensibles pour nous les rois de la "qualité de vie" et "du bon-vivre" et de Plus belle la vie, (sur France 3, du lundi au vendredi à 20h10)... Les Français ont plusieurs occupations dans une journée: le travail, la famille, les amis, les hobbies, les tâches et les plaisirs domestiques, les sorties, Plus belle la vie, (sur France 3, du lundi au vendredi à 20h10) etc. Tandis qu'à New York "occupation" signifie uniquement la profession que vous exercez...
Pour conclure, je dirai que ces conceptions très différentes de la vie quotidienne ne sont pas forcément insurmontables, mais pour utiliser le jargon local, it can be very challenging! Alors chapeau bas à la New Yorkaise, je ne me fais pas de soucis pour elle, elle ira très loin.
Note pour la Française: Yes you can!
Rétrospective "Recherche New Yorkaise désespérément: Chapitre 2":
Working Girl (Mike Nichols, 1988)
Clueless (Amy Heckerling, 1995)
The Big One (Michael Moore, 1997)
The Devil Wears Prada (David Frankel, 2006)
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Vivement le chapitre 3! Bon, et bien maintenant que j'ai lu, avec grand plaisir, les sympathiques reflexions d'une Française apprentie-sociologue-bloggeuse-avec-fragments-de-sémantique, à New York, je vais aller bruncher, en Parisienne! Bisous Marion, plein de pensées d'ici. (au passage, j'ai adoré ton image de la traversée à la nage de l'Atlantique et ta remarque sémantique sur "J'ai froid" qui se traduit par "I am cold"! ;)
RépondreSupprimerMerci Elise! We should catch up next time I am in Paris:)
RépondreSupprimerUn artiste francaise en New York!
RépondreSupprimerhttp://www.facebook.com/#!/event.php?eid=193269504039821
Good Morning Marion !
RépondreSupprimerTu exprimes des réflexions vraiment intéressantes dans tes différents articles.
Il y a cependant quelque chose qui m'échappe après lecture de ce chapitre.
Qu'est ce qui te fais préférer le modèle New-Yorkais/Américains au Parisien/Français ? Pourquoi choisir de vivre dans un pays où la valeur travail prévaut sur la qualité de vie ?
Merci Louis! Je me pose souvent cette question et ce que je peux affirmer c'est qu'a New York aussi il existe une "qualité de vie" introuvable ailleurs (plus frénétique qu'en France certes, mais cela fait parfois du bien de se faire pousser dans ses retranchements!)
SupprimerIl est vrai que l'on à certainement plus tendance à se sentir intégrer dans la société de l'hyper-consommation à New-York. Il n'y a plus aucune limite.
SupprimerEn France, on préserve un certain nombre de particularisme "non-marketing"(pas de pub le soir sur france télévision, un gout pour la cuisine faite à la maison, etc etc).
La frénésie doit être la résultante de ce processus qui consiste à consommer toujours plus et "mieux".