mardi 7 décembre 2010

Lobotomisation télévisuelle

 

Chers tous,

Pour commencer, un petit quiz... Compléter la phrase suivante: "Moi qui suis une passionnée de cinéma, le soir quand je finis ma journée de travail, la première chose que que je fais c'est:

a) utiliser le passe qui me fait bénéficier d'entrées gratuites dans la plupart des cinémas d'art et essai de la ville (de la Film Society du Lincoln Center à BAM, en passant par le MoMA)

b) utiliser l'abonnement à Netflix qui me permet non seulement de recevoir des DVD par courrier, mais aussi d'accéder à une quantité impressionnante de films en streaming sur mon ordinateur (de Ça Commence Aujourd'hui à Final Destination 3, en passant par Les Sentiers de la gloire... si vous suivez ma logique!)

c) utiliser les boutons de ma télécommande pour entrer dans l'univers fascinant des programmes de télé américains (de la chaine 1 à la chaine 1994, sans passer par HBO, nous n'avons que le câble basique!)"

Alors de temps en temps, le petit a) est la bonne réponse. Entendre Jerry Schatzberg parler, après la projection de l'unique copie existante son premier film, Puzzle of a Downfall Child, de son travail de photographe et de réalisateur, et de s'excuser que son amie Faye Dunaway n'est pas pu passer à la dernière minute, c'est l'un des privilèges cinéphiliques réservés aux New Yorkais qui mérite de braver le froid de l'hiver!

Malheureusement, et je ne suis pas fière de l'avouer, la facilité me fait souvent céder à la tentation du petit c). Le paysage audiovisuel de ce côté-ci de l'Atlantique est fascinant, car très différent de tout ce que vous pouvez imaginer... Même si le monde entier est envahi de retransmission d'émissions américaines diverses et variées, en version originale ou doublées, rien ne vous prépare à la frustration éprouvée face au saucissonage de la grille télé aux US.

Considérons un film hollywoodien classique de 1H45 minutes. En France (et de mon temps!) il aurait été diffusé de 20H45 à 22H30 le dimanche soir sur TF1, avec une coupure pub au milieu pour aller faire pipi. Ici, pour les besoins des annonceurs, on fait toujours démarrer le film à une heure "ronde" afin de fidéliser une audience (par exemple, 19H ou 22H30); on interrompt l'action pour la "réclame" toutes les 15 minutes (plus souvent s'il s'agit d'une série); on saupoudre plus ou moins généreusement de spots publicitaires selon le nombre de téléspectateurs supposés présents devant leur poste; et on remplit successivement des boites de 30 minutes car un film se termine toujours, comme il a commencé, à une heure "ronde"... Ainsi un long-métrage de 1H45 minutes qui commencerait à 21H (grosso modo comme en France) se terminerait ici à... 23H30!

Voilà pour la forme. Pour le fond, je vais prendre l'exemple d'une émission de télé-réalité très populaire aux US et chère à mon cerveau quand il a besoin d'un débranchage express. Ça se passe sur MTV et ça s'appelle "Sixteen and Pregnant" ("16 ans et enceinte"). Si le titre parait limpide, il est important de noter qu'il n'est pas complètement exact, parfois les jeunes filles ont 17, voire même, oulah, 18 ans! En général elles sont encore lycéennes, et pratiquement toujours originaires du Midwest ou du Sud profond, régions des États-Unis où l'on pense encore que la pilule peut se prendre 1 fois sur 2 sans conséquences, et où l'avortement, semble-t-il,  n'existe pas. Depuis New York, et pour une Française, c'est un peu comme regarder un documentaire de la chaine National Geographic!

La série se veut à vocation éducative (avant la conclusion de chaque épisode, un écran sponsorisé par MTV nous rappelle que les grossesses adolescentes sont "100% évitables"), mais esquive totalement l'option de l'IVG (sans doute car le débat  fait toujours rage dans certains états américains). Moi, je me disais que, si on n'en parlait jamais, c'était tout simplement parce qu'à chaque fois je prenais la série en cours, et ratais le début de l'épisode au cours duquel la possibilité d'un avortement était surement mentionnée. J'avais tord!

Les épisodes commencent tous de la même façon, avec la voix-off de l'héroïne récitant: "Je m'appelle Amber/Aubrey/Nikkole...; j'ai 16 ans/16 ans et demi/17 ans...; j'aime participer aux entrainements de chearleaders/ faire du shopping avec mes amies/ aller à la chasse (de plus en plus glamour ça, merci Sarah Palin)...; j'ai un petit copain (gros plan sur un ado boutonneux) depuis 2 semaines/ 6 mois/ 1 an et demi...; je rêve de devenir infirmière/infirmière/infirmière...; mais tout ça est sur le point de changer car... I'm sixteen and I'm pregnant!"

Ensuite MTV se propose de donner une vision réaliste des difficultés qui attendent l'adolescente, le tout en 45 minutes chrono (avec, bien sûr, 5 coupures pub!): dispute puis réconciliation avec les parents, interruption du parcours scolaire et surtout social des années lycées, rupture avec le désormais fiancé qui n'est pas assez mature, problèmes d'argent et de logement etc. Le plus scotchant c'est qu'au milieu de chaque épisode, on assiste à l'accouchement et, grâce aux caméras, c'est presque comme si on y était! D'ailleurs, je ne peux pas m'empêcher de baisser le son si mes colocs sont dans les parages, c'est gênant! La série est diffusée tous les jours alors imaginez le nombre d'eaux perdues, de contractions, de gémissements, de pleurs, de "push!", et puis de sourires timides des nouvelles mamans (d'ailleurs elles trouvent toujours le moyen de donner des noms limite ridicules à leur nouveaux-nés, par exemple le célèbre Bentley, oui, comme la voiture!).

La série marche fort, et elle-même a fait des bébés: "Teen Mom" et "Baby High" (encore une fois, tout est dans le titre!) Et des rumeurs circulent sur internet selon lesquelles certaines fans feraient exprès de tomber enceinte pour pouvoir participer au casting! Quand à moi, je suis proche de l'over-dose, mais j'ai du mal à me sevrer de ce guilty pleasure!... Mon excuse c'est que je fais des recherches pour mon blog:) Alors évidement on ne doit pas généraliser, mais quand on considère la télévision américaine dans la forme et dans le fond comme je viens de le faire ici, passer du temps devant, même si cela semble reposant, c'est plutôt lobotomisant.

Alors pour sauver vos neurones sans vous priver de ces moments de détente et d'exploration de la culture américaine low-brow, je vous propose un petit guide de bon visionnage télévisuel. Par exemple pour un épisode d'une autre série de télé-réalité qui fait fureur aux US: "Keeping Up with the Kardashians"

-Générique: on ne s'installe pas trop confortablement dans le canapé du salon.

-Coupure pub #1: on supporte la première coupure jusqu'à ce que soit diffusé un de ces spots pour un médicament, ils commencent toujours avec des gens qui ont l'air triste, puis qui sourient pendant que la liste complète des effets secondaires terrorisants du produits sont énumérés, et le supplice se termine enfin sur l'injonction de parler de ce traitement à votre médecin car, si vous obtenez une ordonnance, sa première prise est gratuite. C'est à ce moment là je m'échappe dans la cuisine pour commencer à préparer mon diner.

-Première partie de l'épisode: les soeurs KKK Kardashians (Kim, Kourtney et Khloe) pensent que leur mère qui a eu 6 enfants, maintenant qu'elle ne peut plus tomber enceinte, a besoin de pouponner malgré tout. Elles lui "louent" un chimpanzé pour une semaine. Je mange mon dîner, perplexe.

-Coupure pub #2 : je saute du canapé, pas de temps à perdre, je vais faire la vaisselle, ranger mon linge sec, me brosser les dents. Je me rassois au moment de la pub pour les infos! "Ce soir ne ratez pas le journal de 22h et vous saurez tout sur les dernières déclarations du Président Obama". Je bois ma tisane, perplexe.

-Seconde partie de l'épisode: le copain de Kourtney la trompe, mais on n'est pas sûr, Khloe veut lui casser la gueule, mais accepte de prendre des cours de self-control à la place. Kim sort avec un joueur de football américain. Je me dis que devrais lire le New York Times plus souvent.

-Coupure pub numéro#3: je refais la peinture dans l'entrée et les carreaux de la salle de bain.

-Dernière partie de l'épisode: Kourtney accuse son copain d'être un alcoolique. Khloe assume ses rondeurs. Kim sort avec un autre joueur de football américain. Je pense qu'il est temps d'aller me coucher.

-Coupure de pub avant le prochain épisode: merde je suis coincée... je viens de me refaire les ongles de pieds et ils ne sont pas encore secs.

Rétrospective "Lobotomisation télévisuelle"
The Truman Show (Peter Weir, 1998)
Six Feet Under (TV series, Alan Ball, 2001-2005)
Breaking Bad (TV series, Vince Giligan, 2008-)

1 commentaire:

  1. Et en France, finito la pub sur le service public le soir (comme quoi, la France ne s'américanise pas pour tout !).

    J'en profite pour te souhaiter un joyeux noël! J'espère que Santa Claus et le Père Noël (la chance, t'en as deux toi !) ont été généreux cette année !
    Gros bibi et à bientôt !
    Fanny T.

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