Crédit: Eater NY
Chers tous,
Cet été j’ai passé
un peu de temps en Bretagne chez mes parents. J’étais vraiment impatiente de me
déconnecter de la frénésie new yorkaise même si le contraste métropole
internationale/village balnéaire a été presqu’aussi saisissant que mon premier
bain de la saison dans la Manche (température à 16 degrés selon mes estimations
un tantinet moins précises que la météo marine). Marion en V.F. ça donne
donc : « Oh on peut voir les étoiles dans le ciel ! Mais comment
ça la librairie est fermée entre midi et deux ?! C’est normal que je puisse
entendre le silence quand je lis ELLE le soir avant de m’endormir ? Depuis
quand un cappuccino se sert en mettant de la chantilly dans un expresso ? »...
J’ai passé un séjour fantastique, et bien rempli parce que sur ma liste il y
avait des choses TRES importantes à faire avant de quitter la Bretagne (par
exemple : prendre un long bain chaud avec des bulles, à New York, en colocation,
ça s’y prête moins, voyez-vous), mais je dois dire qu’il y a quand même quelque
chose qui m’a manqué : to see and to
be seen.
Ma première
journée complète au pays du sarrasin était un dimanche, alors autant vous dire
que les rues étaient désertes, sans oublier les sentiers des douaniers car il
faisait un temps de chien (à ma grande surprise… une amnésie sélective
m’ayant conditionnée à me souvenir de la Bretagne en Juillet comme d’un microclimat paradisiaque). Moi qui avais apporté une sélection de fringues "soirée cocktail sur un rooftop", je
suis vite passée en mode triple P (pull/polaire/pantalon), et j’ai alterné entre les
deux slims qui avaient fait le voyage avec moi pour les urgences du style
je-n’ai-pas-eu-le-temps-de-m’épiler/de-mettre-de-l’autobronzant. Le jean
noir c’était pour les occasions spéciales (déjeuner à la crêperie, soldes à la
grande ville: Morlaix, soirée visionnage des derniers épisodes de la saison 2
de Downton Abbey); tandis que le jean
pastel c’était pour les occasions "estivales" (marche sur la plage
en K-way, pot en terrasse chauffée, sortie en bateau à moteur). Telle Kate
Middleton, je n’ai eu aucun complexe à "recycler" mes tenues,
puisque de toute façon je n’allais tomber sur personne de familier avec
le concept du fashion faux-pas, ou alors justement trop familier avec
ce concept ! Et contrairement à Paris où je me suis retrouvée nez-à-nez
avec SJP, ma compatriote new yorkaise en goguette, en Bretagne je ne risquais que
de tomber sur SJP (Soizig-Janick Pezron). Et c’est bien ça le problème : faire
de la confiture d’abricot un après-midi tranquille à la maison sans déclencher
une alarme incendie c’est le pied, mais le people watching c’est
le Louboutin pied !
Depuis mon
retour, je m’y suis remise assidûment : je matte sans vergogne les
passants dans les rues de Manhattan que je sillonne avec mes espadrilles qui ne
sont PAS des Tom’s (il faut bien se démarquer ici) ; je ne sors plus sans
rouge à lèvres, y compris pour faire mes courses chez Trader Joe’s ; et surtout, je suis
allée dîner chez Rosemary’s. Comment ça vous ne connaissez pas
Rosemary’s ? C’est pourtant l’endroit idéal pour débriefer en toute
non-intimité avec sa meilleure amie qui vient d’avoir The Talk
avec son chéri. Avec un peu de chance, tout le monde autour de vous sera au
courant ! Rosemary’s (noter le nom à la fois familier et accrocheur), c’est
ce qu’on appelle dans le jargon local a
scene. Soit un restaurant très bien fréquenté, presque TROP bien fréquenté.
C’est un
phénomène typique dans le monde des restos/bars/brunch spots de New York :
cela concerne un endroit qui a ouvert il y a un moment déjà
(Momofuku Noodle Bar), une institution qui fait un come-back (La Grenouille),
ou idéalement un newcomer qui a un succès
instantané et voit ainsi son avenir assuré au moins pour les prochains mois de
loyers faramineux à payer downtown Manhattan (Miss Lily’s Favourite Cake date
de la saison dernière, mais continue à faire un carton). Certains chefs tueraient
un cochon à mains nues (et le cuisineraient au barbecue) pour que leur resto
devienne a scene, alors que pour
d’autres, et pour leurs clients, c’est une malédiction in disguise, ou comment transformer un bon resto de quartier en foire à beautiful people.
Pour ceux qui rêvent d'en
arriver-là, il n’y a pas de recette miracle, mais on retrouve une combinaison
d’ingrédients qui, savamment dosés, peuvent créer a scene :
1) un menu séduisant
2) une cuisine
qui se veut tendance, généreuse et/ou locavore
3) si possible
un celebrity chef aux commandes
4) un
emplacement stratégique
5) une déco belle
et bien pensée
Ce qui donne
pour Rosemary’s :
1) un menu qui
favorise le mix-and-match, et des prix pour toutes les bourses
2) une cuisine
italienne, composée de produits qui poussent sur le potager situé sur le toit
du bâtiment (!) ou faits-maison
3) une star des fourneaux : « Chef Wade Moises came through the Batali
circuit, first at Babbo and Lupa, then as the chef de cuisine at Eataly—overseeing
all six kitchens in that crazy establishment” Source: Serious
Eats
4) une adresse tranquille du
West Village mais proche du métro: 18 Greenwich Avenue
5) une déco que
je ne peux définir que comme "romantico-hipster-farmer-chic"
Cette
combinaison est proche de la perfection et, malheureusement, je ne suis pas la
seule à le penser. A 7 heures un jeudi soir le restaurant est déjà plein de happy few tandis que pour le commun des mortels, il y
a plus d’une heure de queue. A tel point que le host de Rosemary's a inventé ses
propres règles : il faut que tous les invités soient présents, pas
seulement pour pouvoir se mettre à table, mais aussi simplement pour pouvoir
figurer sur la liste d’attente !
Une bière a la spina plus tard (je ne crois pas qu'ils servent la boisson culte de mes vacances post-Bretagne, pourtant de plus en plus populaire à New York: le spritz d'Italie), notre réluctance initiale à
jouer le jeu de la scene s'est transformée en impatience surexcitée, et nous sommes plus que prêtes à vivre ce repas qui sera forcement digne de figurer dans
les annales (de la blogosphère). Nous étudions avec attention les plats qui sortent de la cuisine juste devant nous, et passons ainsi notre commande à la
seconde on l’on obtient une table, soit un bon 1h20 plus tard. En attendant, le people watching m'occupe intensément. Chez Rosemary, le mélange des genres est fascinant.
Les New Yorkais sont en compétition permanente (les jeux olympiques ce n'est rien à côté, croyez-moi)--selon le milieu dans lequel vous évoluez, il faut être le plus fort à ceci, la meilleure en cela--mais à Rosemary's, même si nous étions tous en compétition pour avoir une table le plus rapidement possible, la plupart des clients était aussi là pour se montrer et établir leur "pedigree" dans des domaines qui habituellement ne se côtoient pas de façon si fluide.
Les New Yorkais sont en compétition permanente (les jeux olympiques ce n'est rien à côté, croyez-moi)--selon le milieu dans lequel vous évoluez, il faut être le plus fort à ceci, la meilleure en cela--mais à Rosemary's, même si nous étions tous en compétition pour avoir une table le plus rapidement possible, la plupart des clients était aussi là pour se montrer et établir leur "pedigree" dans des domaines qui habituellement ne se côtoient pas de façon si fluide.
Dans mon champ
de vision j’observe toute une palette de spécimens :
Celui qui veut
montrer qu’il est le plus riche : le finance guy en costard
qui sort du boulot et commande avec ses collègues bouteille de vin sur
bouteille de vin (à seulement $40 la pièce, ils ont dû y passer la nuit).
Celui qui veut montrer qu'il est le plus high brow : « Ce soir nous fêtons le contrat de mon chéri qui vient d’être commissionné pour écrire un livre sur Terence
Davies ! »
Celle qui veut
montrer qu’elle est la plus entretenue : elle ne cesse de nous éblouir
avec sa grosse grosse grosse bague de fiançailles, et boucles d’oreilles
assorties. Le fiancé, quand à lui, a sorti ses boutons de manchette les plus
clinquants, petit joueur.
Celui qui veut
montrer qu’il est le plus hipster : casquette de cycliste retournée sur la tête,
bermuda en jean découpé aux genoux, débardeur wife beater, tatouage à gogo, no comment.
Celle qui veut
montrer qu’elle est la plus maternelle : emmener ses bambins au
restaurant un soir de semaine, pourquoi pas? Mais n’est-ce pas plutôt une façon de prouver sa pratique exemplaire de l'attenchement parenting, un type d’éducation très en vogue de Tribeca jusqu'à Park Slope ? (Of course, le
concept n’a pas de page Wikipedia en Français).
Celui qui veut
montrer qu’il est le plus preppy : blazer, chemise rose, mèche de cheveu, mocassins… seule faute de goût, à défaut de trouver de la
place au bar bondé, monsieur reste planté debout avec, main droite, son verre
de vin entamé et, main gauche, sa bouteille de vin entamée !
Celle qui veut
montrer qu’elle a tous les droits : l’Américaine qui demande au patron de
déloger les fumeurs du trottoir parce qu’ils ne sont pas aussi loin du bâtiment
que le voudrait la distance règlementaire !
Celle qui veut
montrer qu’elle est la plus cosmopolite : après l’intervention de l’Américaine
assise à la table voisine, je lui lance un regard incrédule. Moi non
plus je n’aime pas être envahie par les fumeurs, mais si elle avait été assise en
leur tournant le dos, elle n’aurait même pas senti qu’ils étaient-là (le vent
devait souffler en leur faveur…).
Ma contemplation est brièvement interrompue quand on nous demande gentiment de changer de table... « parce que la demoiselle au bar qui vient de s’évanouir on va lui donner une place assise avec ses amies tout de suite »… (une bonne combine, à retenir pour la prochaine fois!).
Ma contemplation est brièvement interrompue quand on nous demande gentiment de changer de table... « parce que la demoiselle au bar qui vient de s’évanouir on va lui donner une place assise avec ses amies tout de suite »… (une bonne combine, à retenir pour la prochaine fois!).
Certes, les clients de
Rosemary’s sont insupportables, mais, à défaut d’être aussi "spécial" qu'eux, le patron vous ferra VOUS vous sentir spéciale: les deux
verres de vin et le dessert offerts par la maison n'y sont sans doute pas pour rien (raisons listées sur notre
tiquet de caisse : "long wait", "best guests"). Alors Rosemary's, ce
n’est pas du Shakespeare, but what a scene !
Rétrospective "Vanity Fair" :
City Lights
(Charlie Chaplin, 1931)
Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968)
Alice's Restaurant
(Arthur Penn, 1969)
Vanity Fair (Mira Nair, 2004)
Vanity Fair (Mira Nair, 2004)
Food, Inc.
(Robert Kenner, 2008)
Dinner for Schmucks (Jay Roach, 2010)